agir-et-reagir

17.10.06

Génocide, Esclavagisme, Néo esclavagisme

Le Président Jacques Chirac à cette semaine déclaré que selon lui, la reconnaissance du génocide arménien était une condition à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Depuis le parlement déserté a voté une loi condamnant la négation de ce génocide. Pourquoi ce déficit de reconnaissance de l’immondice de l’esclavage quand les génocides sont si régulièrement dénoncés ?

La proximité entre les horreurs

Le Zapping du 6 octobre 2006 soulignait les similitudes et les contrastes entre le génocide juif, le génocide arménien et le passage de clandestins somaliens ou libyens vers l’Angleterre, marquant chaque fois une étape supplémentaire dans l’horreur (l’ordre choisi par l’équipe du zapping est respecté). Les nazis camouflaient les chambres d’extermination derrière des jardins et des forêts. Les turcs entassaient tellement les arméniens dans des wagons à bestiaux que de nombreux mouraient de faim, de soif et d’asphyxie, et leur faisaient payer leurs billets, au prétexte qu’ils ne tarderaient pas à retourner chez eux. Les passeurs d’aujourd’hui ruinent souvent des familles entières pour un billet pour Londres, Milan, Madrid, ou Dubaï, et abandonnent leurs clients sur un rafiot au milieu de la mer, les jettent à l’eau au premier risque de contrôle, les entassent dans des containeurs dans des conditions aussi dangereuses que celles des génocidaires.

Une idéologie raciste et collective a laissé place au nouveau dieu au visage rectangulaire et vert. Un dieu de papier qui fait tourner les têtes des individus comme la lumière des bougies celles des papillons de nuit. Les deux s’y brûlent immanquablement.

Pourquoi l’horreur de l’esclavage est elle minimisée ?

Depuis le génocide arménien aux massacres au Darfour, en passant par la Shoah et le Rwanda, les exactions subies par les populations leur étaient imposées, et suscitaient une résistance, ou tout du moins une résignation. L’horreur de l’extermination était occultée, ce qui explique la stupeur qui a saisi les alliés à la libération des camps.

Il y a (à peine) deux cent ans, l’esclavage était aboli en France. La structure du pouvoir qui en a résulté, l’esclavagisme, s’était bâtie tant sur les occidentaux qui planifiaient le commerce triangulaire (Europe, Afrique, Amériques, Europe…) que sur les africains qui ont vendu leurs frères. Désormais le trafic n’est plus que bilatéral : le Sud exporte massivement ses bras et ses sexes vers le Nord. C’est désormais une généralisation massive d’un esclavagisme moderne où les chaînes ont laissé place aux cadenas, ces derniers verrouillant les maigres possessions glanées par le travailleur. Le fait que tous les Etats pauvres participent à ce mouvement : africains, certes, mais aussi asiatiques, arabes, sud américains, et des anciens pays soviétiques, permet de le séparer d’une vulgaire question de racisme (sans vouloir cependant nier cette autre problématique).

La grande différence entre ces tragédies est que le regard de l’observateur nourrit sa circonspection : puisque plus aucune violence ne force l’esclavage moderne, pourquoi y a-t-il encore tant de candidats à celui-ci ? Pourquoi s’endetter et endetter sa famille, risquer sa vie pendant un transport et pour tenter sa chance en Occident, souvent dans des conditions de travail dangereuses (comme à Dubaï) et salariales qui ne suffisent pas à vivre ailleurs que dans un squat ou un appartement insalubre ? Pourquoi y a-t-il encore des candidats à l’exploitation dans le Sud de l’Italie, sans aucune garantie pour leur sécurité physique même ? Ces questions contribuent à dédramatiser une horreur librement consentie.

N’y a-t-il pas un déni inconscient de la part des occidentaux dans leur refus de compatir avec les peuples qui ont été et qui sont encore victimes de l’esclavagisme ? Nous sommes nous même sur une pente qui nous conduit vers une exploitation croissante, quand le sens de l’Histoire voudrait, à l’inverse, qu’à terme tous puissent vivre largement de leur travail et profiter du vertigineux progrès moderne. Et pourtant, alors que nous devrions nous réjouir que la machine travaille à notre place, nous sommes mis en concurrence avec elle, concurrence que seuls les pays à très bas coûts de man d’œuvre peuvent supporter (à titre d’exemple, si un ouvrier chinois est plus rentable qu’un automate, un ouvrier magrébin revient déjà plus cher à l’employeur). En limitant notre regard sur autrui aux seules considérations économiques, nous avalisons l’injustice profonde qui supporte notre modèle.

Il semble que nous revenions à un système féodal, dans lequel le travailleur sans terre ou sans outil de production est ramené à un salaire de survie. Le vassal était enraciné par la difficulté à changer de seigneurie (brigandage, faible mobilité) et par des sujétions juridiques. Désormais ce n’est plus tant la situation géographique qui est pertinente mais la nationalité, fiction juridique, dernier rempart à une immigration massive, et les liens juridiques sont non plus imposés mais « librement consentis » par contrat (encore qu’il faudrait reconsidérer la possibilité d’une violence économique comme vice du consentement).

Conclusion

Notre manque de compassion pour les victimes de l’esclavage « classique » prend sa source dans notre acceptation tacite de l’esclavage moderne, dont nous savons que le seul moyen d’endiguement serait la cessation du système de nationalité, qui seule empêche encore libre circulation des personnes, et qui devrait être le corollaire de la libre circulation des capitaux, produits et services.

Sauf à limiter ces dernières à la hauteur de la libre circulation des Hommes, afin de gommer des disparités à la source d’injustices patentes, qui elles même incitent à l’exil.