agir-et-reagir

17.10.06


Les évasions barbares

Le terme « d’évasions barbares » est utilisé au Canada pour désigner les fuites de capitaux vers les paradis fiscaux (parfois simplement le temps d’un simple passage). Cet article, volontairement (trop) court, vise à répondre à quelques questions. Quels sont les principaux moyens d’évasion fiscale, qui se confondent souvent à ceux du blanchiment d’argent sale ? Quels moyens de lutte peut on envisager ?



Trois méthodes de blanchiment :

Le blanchiment s'effectue par le biais de trois méthodes principales: le placement, l'empilage, l'intégration. Celles-ci sont facilitées par la libre circulation des biens et des capitaux aménagée en général par l’OMC, et en particulier par l’Union Européenne, au sein de laquelle le Luxembourg et voisine de nombreux paradis fiscaux (Lichtenstein, San Marin…).

Le placement consiste à écouler les sommes en liquide par le biais d'achats en espèces dans des banques complaisantes d'action ou d'obligations, en investissant dans des objets de luxe, d'art, de biens immobiliers. Pour les achats, la méthode est simple : on va diffuser l’argent sale par petites touches en le dépensant chez des vendeurs qui, brassant de sommes considérables, pourront le diffuser discrètement.

L'empilage vise à la multiplication des opérations financières faisant transiter l'argent suffisamment pour que l'on perde sa trace et le bénéficiaire de l'opération au détour par exemple d'un paradis fiscal.

Enfin l'intégration utilise des sociétés-écrans éphémères sans véritable activité autre que des opérations de fausses factures, faux prêts, achats ou ventes, le temps de déposer le bilan.

La « perte opportune » :

Comme les mousquetaires, les trois méthodes de blanchiment d’argent sale sont en réalité quatre : la meilleure que j’appelle la « perte opportune ». Elle n’est pas vraiment liable aux trois catégories usuellement reconnues par les analystes.

Une méthode alternative consiste à faire tout bonnement faire un dommage fictif par la société écran à la société réceptrice de l’argent : cette dernière intente un procès, gagne car la défense de sa complice est pitoyable, et c’est la justice qui va, par sa décision, blanchir la somme.

La « perte opportune » peut aussi se concrétiser dans un casino. Une partie privée est organisée pour les employés des clients désirant échanger leur argent. On ferme les portes, et ces messieurs vont ressortir en déclarant avoir gagné / perdu précisément la somme qui les arrange. Le casino se charge quant à lui de brasser le reste de l’argent dans le courant très vif de ses salles de jeu, et empoche sa commission.

Enfin la « perte opportune » est quasi miraculeuse en ce qui concerne le jeu en bourse truqué. Les chambres de compensation, comme Clearstream, consistent à établir des comptes courants entre leurs clients, compensant leurs dettes et créances réciproques. Certaines vont assurer un service supplémentaire : les clients vont leur déclarer leurs avoirs en actions et en obligations cotées en bourse. Dès lors les chambres de compensation vont simuler la perte en bourse, au fil des achats et des ventes de la journée, d’un client au bénéfice de l’autre. Comment y parviennent elles ? D’une part elles peuvent antidater leur transaction, ce qui justifie la nécessité d’avoir un compte dans la chambre de compensation, et d’autre part elles peuvent utiliser des outils d’analyse mathématique pour anticiper à très court terme les fluctuations et jouer sur de toutes petites touches cumulées et dans ce cas un simple mandat suffit, le compte devenant inutile. Comment conservent elles les transactions illisibles ? Déjà en assurant un service régulier pour tous leurs opérateurs, ce qui empêche de ne se fier qu’aux fluctuations du compte, ensuite en multipliant l’opération des milliers de fois par jour pour des milliers de clients, ce qui peut faire aboutir à la déclaration de millions d’échanges chaque jour. Enfin en utilisant leur quota légal de plantages du système, permettant de camoufler entièrement les échanges sur une période.

Inutile de préciser que dans ces circonstances, le système est absolument illisible.

Comment lutter contre le blanchiment ?

La lutte contre le blanchiment peut se concrétiser par des actions judiciaires, qui pour moi sont vouées à l’échec, ou à une régulation simple mais iconoclaste.

Les actions judiciaires peuvent se concrétiser par des perquisitions, la délation, l’établissement de commissions rogatoires… Cependant en pratique les réticences et obstacles techniques sont suffisants pour renoncer à se reposer sur cette voie. Tout juste pourrait on appeler de nos vœux l’établissement d’un procureur européen, pouvant établir des mandats d’arrêts, des perquisitions à l’échelon européen sans avoir à passer, comme c’est encore le cas, par les ministres de la justice des deux pays (ce que l’on appelle la coopération dans le cadre du Traité, et qui a permis l’an dernier une action de saisie de drogue simultanément dans trois Etats membres dont la France, la plus grosse opération commune jamais réalisée). Et pourquoi pas un European Bureau of Investigation, à l’image du FBI américain ? Celui-ci attirerait les plus brillants des agents et magistrats, et permettrait une lutte contre la corruption et contre le blanchiment plus efficace : n’oublions pas que les hommes politiques corrompus doivent rendre compte à leurs employeurs, et qu’il faut leur laisser la possibilité de se cacher derrière l’Europe pour justifier de leurs trahisons (un peu comme ils le font pour le reste vis-à-vis des électeurs pour le reste de leur ligne politique, et 80% des lois sont des transpositions de directives, après quoi ils osent s’étonner du « Non » au référendum sur la Constitution européenne…).

Par contre, une voie plus prometteuse me semble tenir dans des réformes plus substantielles que procédurales. D’abord l’établissement d’une taxe Tobin permettrait de ponctionner une partie de chaque transfert et d’obliger à sa déclaration. De quoi dissiper une partie du brouillard. Pourquoi ne pas affecter son revenu à la chasse aux criminels en col blanc ? D’abord les fruits de cette politique bénéficient vraiment à tous, ensuite les effets de cette orientation me paraissent plus prometteurs qu’une simple redistribution (compte tenu également de la spéculation sur celle-ci).

La plus iconoclaste des propositions vient de moi : pourquoi ne pas forcer l’acquéreur (personne physique ou personne morale) d’un titre (action ou obligation) à le conserver deux semaines (ou plus ?) avant de pouvoir s’en délester ? Ce mécanisme n’empêche ni la spéculation dans le temps, ni celle dans l’espace (qui sont l’essence même du commerce). Les titres ne sont pas périssables. Seule la spéculation à très court terme (que j’ai dénoncé dans les commentaires de mon article « Stratégies marketing et régulation marchande »), se voit par contre absolument empêchée, ce qui permet de rendre la régulation marchande plus efficace car moins sensible aux attaques purement spéculatives, et plus respectueuse de son esprit et de sa légitimité économique et philosophique. Les plus pratiques moyens de blanchiment et d’évasion fiscale sont tout aussi entravés, et la baisse du nombre de transactions permettrait un contrôle plus efficace, un des principaux freins actuels à la volonté de réguler.

PS : Merci à La Taverne des poètes auquel j’emprunte avec son autorisation le titre de l’article.

Lien vers la publication sur Agorvox.fr