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14.1.08

Into the Wild – L’histoire d’une quête spirituelle



Attention : cet article mentionne des éléments du film.

Nous sortons d’Into the Wild un peu groggy. Et pour cause, nos yeux sont encore marqués par la beauté des paysages sublimes que nous avons traversés avec le héros, des rencontres que nous avons faites avec lui, du tragique de sa mort, et surtout par la prégnance des questionnements auxquels ce film nous renvoie. De courts extraits des poèmes de Sharon Olds ont une importance autant esthétique que pour la structuration, le “balisage” du film.

Justement, la mise en exergue du début du film nous avait prévenus : le héros (incarné avec brio par Emile Hirch) apprendra également de ses péripéties en milieu naturel et des relations humaines qu’il tissera. Sean Penn les traitera similairement. Comme les décors qui depuis les forêts enneigées de l’Alaska jusqu’aux déserts de l’Arizona, en passant par les étendues de béton, de verre et d’acier d’une metropole, sont d’une grande beauté, mais souvent d’une grande hostilité.

Car Into the Wild c’est le récit d’un voyage dans toute l’Amérique du Nord : celui de Chris McCandless, dit Alex "Supertramp" ("Super-Clochard"). Voyage dans l’espace, certes, mais aussi quête spirituelle de la vérité. Quelques citations tombent ça et là comme des pépites de poésie, et mettent des mots sur les sentiments éprouvés par Alex, qui gagnent rapidement le spectateur.

L’histoire est divisée en chapitres marquant le lent cheminement vers la sagesse. Chris s’éloigne d’une révolte adolescente, des traumatismes causés par des parents qui impliquent leurs enfants dans leurs querelles, de réussites scolaires qui lui ouvrent les portes d’Harvard. Son voyage est une fuite en avant où il nous entraîne loin du matérialisme, loin aussi des constructions subjectives de beauté, de justice, d’équité, mais en quête de Vérité. Nette, brute, sauvage. Et pourtant que d’humanisme au long d’Into the Wild. Le meilleur moyen de régénérer des idéaux galvaudés serait-il de se détourner de leurs avatars boiteux et d’y revenir une fois seulement qu’on en a affronté l’essence ?

Alex est téméraire au cours de ses voyages, parfois à l’excès. Sean Penn nous rappelle qu’il faut respecter les choix des individus, qui disposent d’eux-mêmes, en insistant sur les dégâts que peuvent causer les parents à leurs enfants. Dès lors, son héros n’est plus un irresponsable : il est libre. Il ne met en danger que sa propre existence.

En tout cas, la critique de la société est vive. Alex n’est pourtant pas devenu asocial. Ni la solitude pesante. Et le héros conserve son attitude en presence d’autres humains. L’attention et le silence. La sagacité. Le respect. Affranchi des attentes qui pesaient sur lui, de l’essentiel de ses biens, des pressions de sa famille, Alex s’émancipe aussi de la colère, du conflit et de la rebellion. C’est ainsi qu’il obtient petit à petit la sérénité qu’il manquait à son évolution spirituelle. Nul n’est prophète en son pays. Ce départ sans donner de nouvelles ressemble d’avantage à une nécessité qu’à une fuite.

Pourtant la tentation du retour est parfois pressante. A plusieurs reprises, il en faut peu pour qu’Alex ne revienne à la vie “normale”. Après deux ans d’aventures il semble prêt à rentrer à la fin de son expérience en Alaska. Il a fini son apprentissage. Il a accédé à la sagesse après avoir affronté tant d’épreuves. Il peut transmettre son message désormais. Impossible : nous sommes au dégel et la rivière en crue est infranchissable. Il va devoir continuer, survivre coûte que coûte. Il finira par s’empoisonner avec une plante toxique. Accablé par la faim, Alex s’est peut-être suicidé. Le film ne l’envisage même pas (au contraire une scène le montre se débattre et se sortir de la rivière en crue dans laquelle il glisse par mégarde) : c’est en confondant deux plantes qu’il se condamne. Le héros laisse un dernier témoignage, annoté dans un des livres qui l’accompagnent depuis le début de son aventure : “Le bonheur n’existe que s’il est partagé.” Un panneau laissé remercie pour la vie qu’il a eu, et porte comme signature son vrai nom : Chris McCandless, comme un signe de réconciliation.

Par ses choix narratifs, le film nous conte l’histoire précocément interrompue d’un prophète. Le prénom original du héros (Chris), son changement de nom (il abandonne McCandless, qui est proche de “candle less” : “sans bougie”), son éclat, sa volonté, son rejet, son errance. On sera également marqué par cette scène où Alex filmé d’en haut, nu, se laisse dériver sur le dos, le corps en croix le long d’une rivière. Par ailleurs les figures majeures des trois monothéismes (Moïse, Jésus, Mahomet), ont chacune leur tour expérimenté une traversée du désert, lors de laquelle elles se sont retrouvées face à elles-mêmes.

Pourquoi cette approche en filigrane ? Difficile d’être certain. Peut-être pour rappeler que certains chemins se parcourent seuls, que la sagesse ne passe pas nécessairement par la prêche (en tant que prêcheur comme en tant qu’ouaille) et pour valoriser la quête spirituelle qui, quelle que soit la forme qu’elle prend, est indispensable au bon épanouissement des Hommes.

Peut-être aussi parce qu’en réalisant qu’il s’agit d’une histoire vraie un frisson nous parcourt l’échine. L’histoire d’une déconstruction et d’une reconstruction pure et authentique. Une histoire qui nous rappelle que les voyages servent à comprendre où l’on se trouve.