agir-et-reagir

20.10.07

Pour des représentations proactives


Les semaines passées ont vu deux mouvements sociaux émerger : la grève contre la remise en cause des régimes spéciaux de retraite et la grève des internes face à un projet de limitation du conventionnement des médecins désirant s’installer dans des zones déjà suffisamment couvertes. Dans les deux cas, la mobilisation a été forte. Comment cependant expliquer que 8% des salariés français seulement soient syndiqués, et 1 sur 20 seulement dans le privé ? Les syndicats demeurent des appareils de mobilisation efficaces, des acteurs institutionnellement reconnus (présomption de représentativité), des catalyseurs médiatiques hégémoniques (ceux qui auront vécu le mouvement anti CPE-CNE se souviennent de la difficulté qu’a eu la Coordination Nationale à se faire entendre, quand B. Julliard, de l’UNEF, multipliait les interviews), et surtout seuls à pouvoir décréter la cessation des mouvements (parfois même lorsque les revendications sont largement insatisfaites).

Comment comprendre la défiance qui se manifeste à leur égard, et leur inefficience croissante à contribuer à la politique économique française autrement que par réaction ?

I

Le parallèle entre ces deux mouvements sociaux est intéressante car ces deux catégories sociales sont confrontées à une même problématique, bien que représentées par des organes différents, ayant chacune en charge un service public distinct, et ayant avec celui-ci une proximité très variable.

En ce qui concerne les régimes spéciaux de retraite, sont en balance l’engagement de l’Etat sur lequel il serait déloyal de revenir, et en face l’évolution des conditions de travail vers moins de pénibilité et les mutations démographiques défavorables observées.

Du côté des médecins, il y a d’un côté un pacte social mis en danger par des dérives (parfois à contre courant de la loi) de la profession (prescriptions irresponsables ou complaisantes, refus des CMU, dépassements d’honoraires à hauteur de 2 milliards d’euros, démédicalisation de zones entières), auxquelles répondent le risque de la « pente glissante » des politiques désincitatives qui visent au déconventionnement : la privatisation de la santé publique.

Nicolas Sarkozy parlait au sujet des mouvements sociaux de « soupape » : dans les deux cas, le Gouvernement force le trait pour débloquer le status quo et procéder à des mesures libérales. Dans les deux cas, il appuie là où ça fait mal.

Les syndicats sont en mal de légitimité. Inaudibles lors de la promulgation du CNE, ils ont attendu que la mobilisation des étudiants soit mûre, et la victoire certaine pour lancer leurs forces dans la bataille, et transiger juste à temps pour la réélection de B. Thibault. Les syndicats ont-ils ne serait ce qu’essayé d’endiguer le développement du travail à temps partiel, le tassement du pouvoir d’achat, ou les abus de stages ? Inefficaces et stériles malgré leurs poids historiques, leurs réseaux, on attend que l’appareil à réagir serve aussi à agir au niveau national.

Du côté des représentants de médecins ou futurs médecins, on attend toujours des réactions de grande ampleur à l’établissement de la franchise médicale, aux déremboursements ou à la lente dégradation des conditions de travail dans l’Hôpital public. Plus généralement, le en particulier du Conseil de l’Ordre laisse trop souvent à la loi la responsabilité de « faire le ménage » dans la profession, alors qu'il est pleinement compétent pour assurer le maintien de règles de moralité, de probité et de dévouement dans sa profession, et qu'il a de surcroît une fonction judiciaire. Ainsi, la loi permettant au patient l’accès à son dossier médical devait permettre de contrer un paternalisme du médecin encore trop fort. Au final, ce décret du 4 mars 2002 aura surtout servi les assurances et banques, qui pouvaient dès lors exiger de leur client qu’il leur en procure une copie, ne lui laissant plus aucune possibilité de mentir sur son état de santé réel. Le secret médical demeure, mais il en a été considérablement affaibli. Ainsi se sont multipliés les non assurés sidéens, anciens cancéreux… Si la profession s'était autorégulée, l'Etat n'aurait probablement pas pu profiter de l'occasion pour déréglementer le secret médical par ricochet.

II

Cette attitude des représentants n’est pas sans conséquences.

En effet, l’opinion se sent quelque peu prise pour une imbécile quand on invoque pour la mobiliser deux grandes causes, certes justes et réellement mises en péril, mais qui lui semblent instrumentalisées au profit d’une poignée de déjà « privilégiés ». Ainsi l’opinion publique est divisée, et l’on se prend à désapprouver la lutte d’autres, restés trop indifférents à notre propre sort. La cause est belle, mais le choix des batailles un rien trop partial.

Hypocrisie, myopie ou attention absorbée par des guerres de pouvoir intestines ?

Au préjudice des médecins comme à celui des bénéficiaires de régimes spéciaux de retraite, c’est l’occasion qui a fait le larron. S’appuyant sur cette défiance, et profitant de l’inaction des représentants sur des problématiques sensibles, le Gouvernement parvient à mettre en question des évidences de notre modèle en ayant toujours un coup d’avance, et surtout en ayant le choix des armes et du terrain. Trop souvent, la bataille qui suit se limite dès lors à une attaque-défense.

Pourtant le syndicalisme peut se régénérer en (re- ?)devenant proactif.

Par proactif, j’entends qu’il doit assumer une fonction d’autorégulation de son activité. Même en ce qui concerne les sujets nationaux, il devrait se comporter comme s’il n’y avait pas d’Etat, et produire de lui-même des normes en considération de l’Intérêt Général.

III

Comment s’autoréguler ?

1 On cesse d'être réactif et on anticipe : on devient proactif.

2 On reconnaît les problèmes et on les règle soi même, entre représentants et après une consultation sincère de la base.

3 On anticipe, on propose, on expérimente et enfin on généralise.

Par exemple, l'Etat ne devrait pas avoir à réglementer la profession médicale pour s'assurer que tout le territoire dispose de médecins conventionnés. Le Conseil de l'Ordre devrait faire un service médical de deux ans à la sortie des études, ou quelques temps après, en privilégiant la mobilité des couples encore non installés. Autre exemple : faire un fonds d'aide aux médecins installés en zone rurale ou très sensible. Encore un exemple, lever des collectes de matériel et exiger de l'Etat que les hôpitaux des zones délaissées soient correctement équipés.

Les médecins forment une profession réglementée, avec un Ordre, un très haut niveau d'instruction, et pour beaucoup une vocation. Si une corporation doit ouvrir la voie, ça sera probablement celle-ci. Aujourd'hui, ils donnent l’image qu'il a fallu qu’ils soient menacés personnellement pour se battre au nom d'un système qui a été affaibli ces dernières années, dans leur indifférence, dans leur inaction, ou dans leur inaudibilité.

En ce qui concerne les syndicats, il y a également pour eux plusieurs activités qu’ils devraient assumer. A titre d’exemple, la vente le 23 août 2007 de fruits et légumes de saison à Paris, pour un prix beaucoup moins élevé que celui pratiqué par les supermarchés, et ceci pour démontrer que leurs marges abusives rognent sur le pouvoir d’achat, a été une initiative pertinente et marquante. Cette action du syndicat agricole Modef a-t-elle pas vocation à se généraliser, voire à aboutir à la création d’un réseau de distribution ? Autre exemple : le partage du travail et la fixation des salaires. Autour de moi plusieurs amis cadres travaillent pour un prestataire de services qui les facture au mois 12 000 euros, quand ils n’en touchent que 2 300. N’y a-t-il pas l’espace pour des structures à but non lucratif et surtout plus équitables ? En ce qui concerne la grève actuelle, les syndicats sont ils réellement en position de s’opposer à une réforme, alors que si peu de concret à été fait ou proposé pour les métiers réellement pénibles, comme le BTP ? La conférence sur la pénibilité du travail ne doit pas attendre un feu vert gouvernemental. C’est une question dont les syndicats doivent spontanément s’emparer à bras le corps. Dans la situation actuelle, la réforme gouvernementale passera, probablement atténuée, mais contre quelles contreparties ? Une approche globale serait bien plus favorable aux salariés, et donnerait des marges de négociation bien supérieures. Ce qui serait perdu sur un terrain servirait pour avancer sur un autre.

IV

Avec les exemples que nous avons évoqués aujourd’hui, nous voyons à quel point la crise de la représentation est profonde en France. Non qu’elle soit irréversible, mais qu’elle nécessite une prise de conscience massive et un retournement des mentalités pour que les acteurs faisant vivre des enjeux publics aussi essentiels que la Santé, le transport ferroviaire ou la production d’électricité, prennent leurs destins en main.

De nombreuses ONG, et associations, par exemple les associations de consommateurs, ont depuis longtemps ce modèle, et leur influence ne fait que croître, au fur et à mesure que les réalisations concrètes s’accumulent. Pour l'avoir expérimentée dans la vie associative à une échelle certes plus modeste, cette méthode fonctionne et réduit significativement les ingérences.

Pour aboutir à ce résultat, il faudra sans doute accepter de travailler avec un frère ennemi, obstacle encore insumontable pour certains leaders.


Crédit image : Wikipedia

http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Montparnasse_CPE_23.03.06.JPG

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