agir-et-reagir

19.10.06

Doit on repenser le commerce équitable?

Le commerce équitable s’installe avec ses codes et ses pratiques. Quels sont-ils ? Ne sont-ils pas perfectibles ? Est-il nécessaire de repenser le commerce équitable ? Si oui, comment ?



I Une affaire du privé, le commerce équitable ?

Loin de l’Etat, le commerce équitable a construit ses principes autour de la certification. Ce qui veut dire que des entreprises sont apparues, ou ont pris à leur compte la vérification par les producteurs de règles qu’ils se sont auto imposées. Bien sûr rien n’oblige un producteur à s’y plier, mais dans ce cas il ne pourrait afficher le logo du certificateur, sous peine d’être accusé de publicité trompeuse, voire de tromperie ou de contrefaçon de la marque. L’Etat est donc ici en filigrane, puisqu’il assure l’effectivité de l’engagement et le respect de la marque par l’application de la « loi des parties ».

Mais l’Etat ne va pas rester éloigné très longtemps et va se trouver impliqué à travers des règlements, des normes officielles ou des conventions pour l’amélioration de la qualité. Ces dernières, moins connues, sont particulièrement intéressantes. Un entrepreneur qui veut voir établie une convention sur un nouveau procédé, un nouveau critère qualité, va voir le service en charge de l’Etat et en fait la promotion. L’Etat va réunir professionnels, organisations de consommateurs, et les négociations sur la teneur et l’opportunité de la norme commencent sous sa tutelle en présence de tous les intéressés. Le but est d’aboutir à un standard qui aura vocation à s’étendre et à devenir le standard courant pour tous les producteurs. Si la négociation aboutit, le producteur peut afficher le logo « Approuvé » sur ses produits et peut s’en revendiquer devant les consommateurs, les assurances, les banques.

En ce qui concerne les autres normes, comme « issu de l’agriculture biologique », seuls ceux qui respectent le cahier des charges imposées peuvent s’en prévaloir. C’est d’ailleurs pour cette raison que Danone a du abandonner la marque Bio pour Activia, et que « BA » n’a plus eu le droit d’être disposée dans les étalages réservés aux yaourts (ce qui a causé la faillite du producteur initial). Il s’agit d’une interprétation stricte de la loi qui interdit « d’adopter » une dénomination réservée. En ce qui me concerne, je considère que conserver sa marque ne devrait pas être pénalisé, sauf mauvaise foi patente (mais à l’époque du lancement de Bio de Danone l’agriculture biologique n’était pas encore aussi clairement à part). Ce qui n’exclue pas les consultations préalables, et c’est le moment pour les lobbies de faire entendre leur voix.

Tout ceci contribue à une pléthore de labels aux cahiers des charges divers, ce qui ne favorise guère le choix du consommateur. Quand on lui laisse le choix...

II Renverser la filière inversée du commerce équitable

La logique du commerce équitable et des autres produits concourrant au développement durable est la logique dite de « filière inversée » (selon le mot de J. K. Galbraith dans Le Nouvel Etat Industriel). Pour la majorité des produits, le label préexiste à la production. Pour nombre d’entre eux, c’est parfaitement compréhensible au vu du cahier des charges (par exemple les ballons de foot sans travail d’enfants). Le choix de faire un café équitable comme le « Just coffee » de Consumers International est un choix idéologique, et c’est sur un critère idéologique que le consommateur va percevoir le label comme un argument de vente. Le consommateur est forcé de choisir entre un café équitable ou non. Mais s’il choisit mettons un café Malongo, il sera forcé de le prendre équitable (Max Havelaar en l’occurrence).

A l’inverse, et c’est plus gênant, il ne dispose pas d’une option « équitable » sur tous les produits qu’il voudrait. S’il veut des Nike, des Puma, des Reebok ou des Adidas, il devra se passer de la certitude d’une production équitable. Pire, il renonce même à tout droit de regard sur une production « humaine » à savoir horaires acceptables, interdiction des test de grossesse systématiques, sécurité sur le lieu de travail, salubrité des locaux et des dortoirs (Naomi Klein décrit dans son « No Logo » des dortoirs philippins à Cavite, « véritables souricières en cas d’incendie »).

Restons sur l’exemple généralisable des baskets. Qu’est ce qui empêche à une association de recueillir des fonds qui seront directement et quasi intégralement reversés aux travailleurs, dont le salaire est négligeable au vu du prix du produit (30 centimes par pièce environ, sur des produits de 60 à 150 euros, soit au mieux 0,5% du prix) ? Cette association pourrait faire sa promotion devant les détaillants, voire conclure des accords avec des chaînes de boutiques comme « Foot Lockers », « Décathlon » ou « Courir ». Il est rare qu’un consommateur soit à 5 euros près lors de l’achat de ses chaussures (pour les hommes, même peu consuméristes, un choix tout particulier est porté à celles-ci).

III La Mise en pratique de « l’abondement au salaire » : obstacles et atouts

Les principaux obstacles que je peux identifier « à chaud » sont :

1 La dissociation du paiement. Si l’on se voit proposé lors du passage en caisse « l’abondement au salaire », cela permet que ses facilités de paiement (carte de crédit notamment) demeurent intactes. Si la chaîne de distribution est partenaire, ou que le consommateur à un compte créditeur dans l’association, ce problème est éludé.

2 La difficulté à identifier le travailleur et à acheminer l’aide. Pour cela il faudrait l’assistance du producteur, qui trace de toutes façons ses produits. Ou se résigner à aider « à l’aveugle » c’est-à-dire plus ou moins arbitrairement.

3 La répartition des fonds est délicate. Il serait bon de laisser les entreprises d’assistance s’en charger elles-mêmes quitte à les contrôler, et de laisser le consommateur arbitrer selon ses propres critères. L’un voudra une assistance à la création et à la dotation de coopératives, l’autre la remise la plus intégrale possible entre les mains d’un seul ouvrier (ou de sa femme, qui se révèle souvent plus responsable !), ou aux accidentés du travail, ou bien la diffusion sur tout le site de production, ou l’amélioration des conditions de sécurité.

4 Nous pourrions avoir à supporter l’animosité de la marque qui ne voudrait pas d’ingérence dans ses affaires. Evidemment rien ne le justifierait, ce qui porterait une grave atteinte à son image de marque. Dans le cas du chantage direct auprès des ouvriers (« c’est eux ou nous ») la situation serait sans doute plus délicate. Et que dire d’une corruption des autorités locales pour menacer ou expulser les associations ?

Un atout décisif : une solution plus facilement extensible

Si l’on parvient à associer un grand distributeur, on pourrait imaginer les produits du magasin « participant à l’opération » (selon l’expression consacrée) patchés d’une gommette jaune (j’aime bien le jaune ! et pourquoi pas jaune d’abord ?) et lors du passage en caisse, on pourrait panacher facilement les produits pour lesquels abonder ou non, selon ses préférences et ou ses moyens. Voire enregistrer ses préférences dans sa carte de fidélité (produits, associations, fréquence ; par exemple abonder à hauteur de 4 euros pour tout vêtement payé plus de 50 euros, et verser la somme selon les modalités de l’association « Soleil pour tous »).

En conclusion : Comme souvent pour comprendre un système il aura fallu en sortir. J’aimerais beaucoup voir cette proposition « d’abondement du consommateur au salaire » mise en pratique car il me plait que la contribution soit extensible, simple, directe, concrète, liée à un travail ingrat donc qui ne renforce pas l’assistanat ; et le consommateur a un réel choix quand aux critères auxquels il est sensible. Gageons que si le soutien des principales marques est acquis et que quelques distributeurs s’y joignent, une bataille décisive pour le développement économique et social serait gagnée. Et nous pourrons alors nous atteler à l’écologie (et au sociétal ?) avec toute notre énergie.