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12.12.06

La Cour d'Appel de Paris confirme la condamnation du "Cartel des mobiles" : un peu de Droit de la Concurrence pour les nuls



(Version avec liens sur Agoravox, crédit image : Imagine)

Cet article brosse un rapide résumé de l'affaire dite du cartel des mobiles (entente secrète entre Bouyges, SFR et Orange), et prolonge la problématique du volet "réparation" de l'affaire.

De 1997 à 2003, les trois grands opérateurs de téléphonie mobile ont organisé une entente secrète qui visait à maintenir leur prix élevés, et à se répartir leurs parts de marché à l'amiable. Les liens suivants vous exposeront clairement les éléments factuels de l'affaire :

Sur Boursorama

Sur le site du Conseil de la Concurrence

Sur le site de l'UFC-Que choisir

Ce mardi 12 décembre 2006, la Cour d'Appel de Paris a confirmé décision de condamnation (la plus lourde jamais prononcée : plus de 500 millions d'euros, et particulièrement dure envers Orange) du Conseil de la Concurrence du 30 novembre 2005.

La Concurrence est essentielle dans le fonctionnement du Marché : elle exerce une pression à la baisse sur les prix, est une incitation très forte à l'innovation, limite les pénuries et les exédents. Sans la Concurrence, le prix s'établit à un niveau dit "de monopole", c'est à dire au niveau le plus favorable pour l'entreprise.

Par exemple, l'entreprise va se baser sur ses courbes de production pour établir ses prix et son niveau de production. La Concurrence est en réalité la force qui rattache l'offre aux lois du Marché, et plus la concurrence est faible, plus l'arbitrage par le Marché est erroné.

L'atteinte constatée est une entente, prévue par notre Code de commerce et par les traités européens .

Les amendes prévues ont pour objectif de sanctionner l'atteinte au Marché. C'est pourquoi elles sont relativement faibles, face aux dommages aux consommateurs. En effet, pour une amende de plus de 500 millions d'euros, on a évalué le préjudice causé aux 20 à 30 millions de consommateurs à 1,2 milliards d'euros (bas de la fourchette). L'amende n'a donc aucun effet dissuasif, tout au mieux elle va réduire, pour les contrevenants les moins habiles, le profit du larcin.

L'an dernier la question de savoir sur quel fondement le consommateur peut demander réparation pour son dommage a suscité au sein de mon DESS de vifs débats. En principe si une relation contractuelle existe entre les parties, la responsabilité à engager est la responsabilité contractuelle. Or en l'espèce les obligations résultant du contrat ont été respectées : l'accès au réseau et aux services annexes a bien été offert au client. Pour ma part, je me suis focalisé sur l'article 1382 de notre Code civil, qui est notre clause de responsabilité extra contractuelle (on parle de responsabilité quasi délictuelle).Pour obtenir des dommages-intérêts compensatoires (en réparation des dommages causés) sur ce fondement, il faut réunir une faute (une entente illégale), un dommage (un trop payé), et un lien de causalité (le contrat non négociable). Selon toute évidence, c'est sur ce dernier fondement qu'il sera possible d'agir en réparation des dommages causés aux consommateurs.

Problème qui est mis en lumière par cette affaire : les petits ruisseaux font les grandes rivières. Les dommages sont individuellement trop faibles pour qu'il soit intéressant pour un consommateur de poursuivre en justice son opérateur, et parfois il n'est même pas intéressant de passer le temps nécessaire pour retrouver les factures prouvant que l'on a bien été victime de cette spoliation. Que dire de l'inflation des procédures en Justice ?

C'est pour ces raisons qu'ont été prévues des voies de Droit dans lesquelles les associationsde consommateurs agréées tiennent le haut du pavé.


Ainsi, au début des années 1990, l'inventeur du Droit de la Consommation, Jean Calais-Auloy, a vu un volet de son projet d'actions de groupe traduite légalement aux articles L422-1, L 422-2 et L 422-3 du Code de la Consommation. Il ne s'agissait que du mécanisme qu'il envisageait pour les litiges de groupes impliquant un faible nombre de consommateurs, ce qui explique son inadaptation aux litiges de grande ampleur.

En fait, il s'agit d'un mécanisme simplifié de mandat, qui allège notamment les obligations d'information du mandant.

Il n'en demeure pas moins que ce mécanisme reste lourd, exige des frais et un investissement en temps trop importants pour que le consommateur y ait largement recours. Alain Bazot, le président d'UFC que choisir (plus importante association de consommateurs en France), et qui avait pourtant assumé tous les frais de la procédure pour les plaignants entrant dans son "action en représentation conjointe", n'a réussi a rallier que 12 500 dossiers sur les 20 à 30 millions de victimes (oui, quand même !).

Jacques Chirac l'avait demandé lors de la présentation de ses voeux en 2005 : un effort devra être fait pour créer une vraie action de groupe, une class action, en France avant la fin de son règne présidentiel. S'en sont suivis des conventions de la DGCCRF et du MEDEF sur le sujet, je vous encourage à lire celui du MEDF qui peut se résumer ainsi : une intervention du Baron Seillière en introduction et en conclusion, en défaveur de l'action de groupe, et le défilé des intervenants favorables au principe de la Class action, et s'interrogeant sur la forme qu'elle devrait prendre.

Un projet est actuellement porté par la majorité. Il est insipide, inutile, sans consistance. Oserais je dire, sans réalité, sinon d'être un leurre pour feindre de se préoccuper d'un accès à la justice catastrophique. Doit on rappeler l'agitation au tribunal de Bobigny en faveur de la réévaluation de l'aide juridictionnelle? Et le rapport de l'UMP sur cette justice à trois vitesses ?

Je vais essayer de produire pour Agoravox une analyse du projet de loi, mais en tout état de cause, l'Appel des 100 n'a pas été entendu, et j'en ai eu la confirmation lors du colloque de novembre 2006 sur le Droit de la Consommation qui s'est tenu à Montepllier. Me Casanova, bâtonnier du barreau de Montpellier, Me Henri Temple, directeur du Centre de Droit de la Consommation de la Faculté de Droit, et son propre maître, Jean Calais-Auloy, ont pris dans leur tempête d'arguments le député UMP et la représentante du MEDEF présents.

Ce que les anglo-saxons appellent "private enforcement" est probablement le terrain sur lequel il faut faire porter l'effort pour qu'un jour le Droit de la Concurrence soit dissuasif (voir cette analyse de Panafieu sur le sujet). En particulier en cette époque où l'on peut s'interroger sur le volontarisme de l'Etat en la matière : drôle de vision de l'économie que celle de M. T. Breton, non?