agir-et-reagir

19.12.06

Un article qui date de cet été



Réponse du conteur à la conteuse :



En lisant la fable de la Fontaine remaniée par les ploutocrates déguisés en alter libéraux (commentaires de l’article de jeudi 20 juillet « Savez vous ce qu’est le libéralisme ? » http://www.agoravox.fr/tb_receive.php3?id_article=11715) et leur histoire de Poiraju (http://www.quebecoislibre.org/04/040320-11.htm ), j’ai trouvé matière a en écrire une moi aussi.


Le fils prodigue


Il était une fois une famille de trois personnes. Le père, la mère et le fils. Tous trois vivent dans une jolie petite maison que les parents ont fini de payer il y a peu, a force de privations.

Le fils, Benoît, a 20 ans, il étudie et gagne un peu de fric en travaillant à côté. Il a monté sa boîte de livraison de café aux entreprises et gagne même mieux sa vie que son père, qui a des difficultés à trouver un emploi décent à son âge avancé et que sa mère, femme au foyer. De fait, le fils subvient au plus gros des besoins de la famille.

Benoît aimerait bien se « diversifier » en vendant du Shit mais ses parents le lui interdisent. Il ne prend aucun soin du travail de sa mère, ne fait jamais la cuisine ni la vaisselle, n’essuie jamais ses pieds en entrant dans la maison, ne vide jamais les poubelles, ne ponce jamais les volets, et jette ses mégots en plastique dans le jardin. C’est pas son boulot. Sa mère se tait, c’est à elle de s’en occuper mais aimerait bien qu’il fasse quand même un peu plus attention.

Benoît fume aussi des pétards dans sa chambre et y laisse de la bouffe, de sorte que la maison pue la beuh et commence à être un nid à insectes, mais lui s’en accommode, alors de quoi les parents se plaignent ils ? N’est il pas libre de faire ce qu’il veut avec la nourriture qu’il a acheté avec son argent ? De faire ce qui lui plait dans sa chambre ? Du coup il se permet des remarques humiliantes à son père quand il achète un calendrier aux postiers ou sa mère quand elle invite ses amies à dîner.

Ne supportant plus les remontrances de ses parents, il commence à se plaindre avec insistance. Il ne respecte plus ses parents et les traite de parasites. Il réclame l’autorité dans la maison, comme il a celle dans la société dont il est l’actionnaire majoritaire.

Le père a beau lui expliquer que ce n’est pas à lui de faire la loi dans la famille, qu’il est l’enfant et lui le père. Même, compréhensif, il accepte de changer son attitude si la mère se joint à l’opinion du fils. Evidemment, surchargée de travail a cause des petites économies d’efforts du fils qui lui causent de bien pires tâches (surtout la boue séchée, ça ne part pas facilement), elle estime que Benoît est en tort. Elle a le sentiment de travailler dur, même si sa production domestique n’a aucune existence comptable. Et se tait de plus en plus, lassée d’être dévalorisée.

Mais le fils n’en démord pas : il rapporte le fric, il veut l’autorité. De toute façon, si son père ne trouve pas de boulot c’est parce que c’est un sale feignant. Et puis c’est quoi cette habitude de boire du vin aux repas, il ne le mérite pas. Pareil pour l’abonnement à un magazine people de sa mère, elle n’a pas à se le payer avec son argent.

Son père excédé finit par lui dire qu’il se débrouilleront tous seuls s’il quitte le foyer, qu’ils se sont privés pour lui payer ses études alors qu’ils ne menaient pas la vie de château.

Mais le fils n’entend pas en rester là : il estime que sa chambre est la sienne, et il exige de ses parents de vendre la maison pour récupérer l’argent de celle-ci, ou du moins qu’ils aménagent une porte dans le mur, pour pouvoir en profiter sans avoir à croiser ses géniteurs.

Cette fois c’en est trop. Le père furieux jette ses affaires par la fenêtre et l’enjoint de quitter les lieux. Le fils se plante alors devant lui et le nargue : « Tu vas faire quoi ? Me frapper ? » Il finit par les quitter sur un « Pauvre nul va ! »

Première fin :

Alors le fils se cherche une nouvelle famille. Mais personne ne veut de lui, à cause de ses habitudes de porc. Il finit par trouver refuge dans une colocation. Mais ses colocataires sont si peu portés sur l’hygiène que même lui n’arrive pas à les supporter. Il a alors l’idée d’embaucher une femme de ménage, qui lui prend un joli salaire. Mais deux heures après son passage, la cuisine est de nouveau inutilisable. « Non mais ils ont été éduqués où, ceux là ? », ne peut il s’empêcher de murmurer quand ses trop bruyants voisins l’empêchent de dormir.

Le fils quitte donc la colocation. Il se perd dans le travail pour pouvoir s’offrir un appartement personnel, trop cher pour qu’il puisse continuer en même temps ses études. Mais rapidement les voisins se plaignent. Les odeurs qui viennent de chez lui puent tellement qu’ils ne peuvent pas dormir. Il s’engueule avec eux. Le proprio, un gros costaud, vient lui casser la figure, il ne veut pas que son immeuble se dévalorise. Quand il le traîne en justice, les voisins témoignent de mauvaise foi en faveur du proprio et sont ravis de le voir quitter son appart en pleurant de rage.

Décidemment, le monde est bien sauvage hors de la maison. Son cynisme et sa misanthropie grandissent de jour en jour. Cependant sur le Net il se lie d’amitié avec une fille. Et ses sentiments pour elle vont croissant, même s’ils n’ont pas les même styles de vie. Il commence à se dire qu’il ne peut pas l’inviter chez lui dans l’état de son appart. Fait des efforts pour elle et elle finit par s’installer chez lui. Parfois il rigole tout seul en s’imaginant avec une femme aussi crados et peu respectueuse que lui plus jeune, et se dit qu’il aurait pu passer à côté de l’amour pour des bêtises.

Et le fils comprend que les communautés humaines ne se gèrent pas comme une entreprise, et que chacun doit être pris en compte avec une voix égale en ce qui concerne les choix de vie.

Mais il ne l’a compris que quand il a eu lui-même la responsabilité d’une collectivité.

Fin alternative :

Après avoir quitté le domicile familial, Benoît rencontre par hasard un entrepreneur, comme lui. Intéressé par les qualités de Benoît, Il l’invite chez lui dîner et, l’aubaine, lui offre de le loger pour la nuit. Benoît est stupéfait par la splendeur de la maison. Tout y est parfaitement propre, rangé, ordonné. Benoît se dit que décidemment les asiatiques font bien les choses. Le dîner commence, et le cortège des servants s’accélère, chacun portant des plats succulents que le Maître des lieux ne goûte qu’à peine avant de les jeter au sol quand la cuisson lui déplaît. Peu importe, les servants sont là pour nettoyer les monceaux de nourriture gâchés.

Et le Maître des lieux lui expose le plan : Benoît aidera a commercialiser les vêtements bon marché qu’il produira avec ses ouvriers très efficaces. Quand Benoît l’interroge sur ceux-ci, il répond qu’ils sont venus du Pays pleins d’espoir, qu’ils sont illégaux sur le territoire qu’il les cache pour leur bien et qu’au moins avec lui ils ont de quoi manger. De toute façon s’ils veulent rentrer ils sont libres, il suffit qu’ils se payent un billet (mais il oublie de dire que leur gouvernement les attend avec impatience pour les punir de leur impudence, et que les passeurs leur avaient promis l’Eldorado). Et Benoît de se dire « Quel honnête homme tout de même ! ». Il travaille dur mais le Maître et surtout ses « employés » s’occupent de tout et le traitent comme un Roi, ce que Benoît a toujours voulu. Et quand il rentre en ville, il peut s’offrir tout ce qu’il veut : biens de luxe, amitié et amour des gens (Chut ! il ne sait pas que ce sont de fades substituts de la part de courtisans). Tout le monde l’envie enfin.

Mais Benoît a du mal a dormir cette nuit. En allant aux toilettes, il a entendu le Maître parler au vigile. Il lui a dit « Maintenant qu’il a formé ses deux remplaçants, pourquoi irait t on s’encombrer avec lui. Ce soir ce doit être fini, compris ? »

Benoît se rappelle de l’histoire de Pinocchio sans savoir pourquoi et pleure, de retour seul dans sa grande chambre vide.

Il se dit qu’il aurait du aider les employés (qui étaient peut être en fait des esclaves) à se libérer de l’oppression du Maître. Peut être en leur transmettant le savoir que ses parents lui ont légué. En leur faisant comprendre qu’ils ne sont grands que quand nous sommes à genoux...

Trop tard, ce soir il sera le plus riche du cimetière.

Moralité :

Entre ceux qui nous font payer la paix sociale de plus en plus cher (les pères alcoolos), et ceux qui veulent tout laisser faire sauf payer les pots qu’ils cassent (les fils ingrats et vaniteux), on est pas sortis de l’auberge (nous les mères qui trimons pour des clous).

Il va pourtant bien falloir se faire entendre un jour.

Rideau !