agir-et-reagir

21.12.06

Dormir dehors

Je croyais savoir ce qu'était le social, en bossant dans les quartier difficiles, avec des jeunes en foyer, ou qui sont retournés en HP après la colo. Je me trompais.

L'association Don Quichotte mène actuellement une campagne de sensibilisation à la condition des SDF. Celle ci consiste à dormir dehors, à leurs côtés, dans des tentes, afin de vivre les affres du froid.

Il me semblait interessant de livrer à AgoraVox mon propre vécu.

Après une colonie de vacances dans les Cévennes, j'ai décidé de profiter des journées du patrimoine (mi septembre) pour m'offrir un week end à Amsterdam. J'ai rencontré dans le premier train de la journée un SDF parisien d'origines guyanaise d'environ 35-40 ans, José. Nous avons sympathisé autour d'un jeu qu'il avait proposé avec grand succès à deux enfants du wagon (un animateur ne manque jamais l'occasion de compléter sa panoplie).

Nous avons envisagé de ne pas dormir de la nuit pour profiter de la vie nocturne de la capitale, et de nous accorder un repos au matin dans un parc. A notre arrivée, ce qui était une option devint une obligation : a cause d'une convention, l'office du tourisme ne proposait que des chambres à 160 euros et plus, ce que ni l'un ni l'autre ne pouvions nous permettre. Parlant un anglais correct, je me chargerais des traductions (les néerlandais parlent pour tous ceux que j'ai rencontré un anglais impeccable) et nous sommes partis tous deux en vadrouille dans la cité lacustre, faisant nos courses de nourriture dans les supermarchés locaux (chers) et prenant une collation aux fast foods de produits de la mer.

La journée fut d'abord plaisante. La ville était superbe, et nous avons flâné dans ses ruelles jusqu'à épuisement. José, un peu trop imbibé, s'attirait souvent les foudres des commerçants ou des passants qui s'offusquaient de le voir demander aux jolies passantes de poser avec lui sur les photos de son appareil jetable. Je l'ai tiré de situations délicates , ce dont il ne s'est parfois pas douté. De son côté, et alors que je cherchais un toit pour passer la nuit, il m'a évité de me faire détrousser par un groupe de malandrins en anticipant le problème.

C'est la première constatation que je fais. Les SDF et nous n'avons pas la même lecture du monde. Ils sont exposés à des risques insoupçonnés de ceux qui ont un endroit sûr où passer la nuit. Ils connaîssent la rue et ses codes, et ont appris, parfois à leurs dépends, comment en gérer les dangers.

J'ai entendu ce jour là de nombreuses anecdotes, depuis le trafic de Subbutex des roumains (qui se procurent leurs doses en toute légalité en faisant le tour des généralistes), aux propositions indécentes faites par des détraqués sexuels aux clochards de Châtelet. Comment il était retourné à la vie de SDF après avoir été salarié et logé un temps.

La nuit tombant, et n'ayant ni l'un ni l'autre envie de squatter un Coffee Shop (nous n'avons aucun attrait pour les substances qu'on s'y procure), nous nous sommes dirigés vers une grande place rectangulaire concentrant de nombreux bars dansants et boîtes de nuit (Leidseplein, il me semble ou plus probablement Rembrandtplein) qui nous avait été recommandée par Sammy, un grand black rencontré dans un bar.

Sur notre route, nous avons vu se révéler un autre visage d'Amsterdam, plein de skinheads, de punks, qui regardaient avec agressivité mon compagnon, et l'apostrophaient en Néerlandais.

J'ai alors senti pour la première fois la brutalité du racisme le plus vil. Cette peur permanente du dérapage de l'autre. Certains me diront qu'en France il en est de même, mais je ne l'ai jamais senti avec une telle acuité.

Sensation qui s'est précisée dans le bar brésilien où nous avons passé notre première partie de soirée. Les hollandais dansaient avec beaucoup de rigidité, et nos styles (surtout celui de José !) tranchaient radicalement avec le leur. J'étais l'invité de mon nouvel ami qui me paya quelques coups à boire, ce qui me confirma que les gens de peu donnent beaucoup. Le bar était bondé, et à peine mon camarade s'était il mis à danser avec les jeunes femmes de la boîte qu'un front s'était formé contre lui. L'athmosphère enfumée (j'ai du quitter la salle tant mes yeux me piquaient) et la promiscuité ajoutaient à l'oppression de la scène. Nous finîmes nos verres et quittâmes le lieu morbide, qui melaissait l'impression animale que la femelle est un bien du groupe, une ressource à ne pas faire tomber entre les mains de l'étranger. Comme un retour au temps des cavernes.

Je me suis tenu prostré plusieurs minutes sur un banc de la place, encore sous l'effet de la situation que nous venions de vivre. José ne s'avouant pas vaincu par la bêtise ambiante, s'en est retourné tout de go dans le bar. Après quelques minutes, il revint me voir. A me tenir la tête entre mes mains pour me protéger les yeux, je devais ressembler plus à un junkie qu'à un touriste.

Une pluie légère commença à tomber, et nous esseyâmes en vain d'entrer en Night club avec nos sacs à dos et nos sweat shits humides. Si notre accoutrement ne sembla pas poser problème au videur, nous ne pouvions pas laisser nos sacs à la consigne, ce qui nous refusa l'entrée de la boîte de nuit.

Après quelques hésitations, nous décidâmes de retourner au parc que nous avions visité durant la journée : le Vondelpark. La pluie avait du chasser les individus patibulaires croisés plus tôt, et nous nous installâmes sous les frondaisons fines d'un bosquet, en pérphérie du parc.

La nuit fut pour moi extrêmement dure à passer. Tétanisé par le froid qui m'a surpris pour une journée de septembre si douce, mon sweat shirt en coton ne suffit pas à m'en protéger. José me proposa sa veste, que je ne sus accepter. Je passai la nuit grelottant, faisant les 100 pas et sautillant sur place pour me réchauffer. La terre était boueuse et froide, l'humidité pénétrait dans l'étoffe par capillarité quand je m'allongeais. José s'est allongé sur le côté. Je l'ai veillé toute la nuit avec le sentiment que c'était le moins que je puisse faire.

Au matin, j'ai surpris des lapins venus nous visiter. J'ai vu défiler les joggers matinaux, et quelques freaks qui rentraient de soirée. A son réveil, José s'inquiéta de mon sommeil, et nous nous mîmes à la recherche d'un point d'eau, d'un endroit où se doucher, mon compagnon restant encore 9 jours en ville.

Nous nous sommes finalement quittés après un café sur l'esplanade du Rijksmuseum. J'utilisai les toilettes de celui ci pour changer de T Shirt et de sous vêtement, pour me débarbouiller et retirer un peu de la terre de la nuit sur mon Sweat.

Je n'oubliai pas de le remercier d'avoir été là pour moi. Très simplement et presque gêné, il me dit que c'était normal et s'éloigna. Nous ne nous sommes plus jamais revus.

Le soir, je retrouvai ma cousine et son petit ami à Bruxelles. Je me sentais différent d'à mon départ. Je revenais d'une aventure étrange, et avais l'impression que d'avoir un toit pour la nuit mettait sur mon visage une expression aussi lisible que celle que je portais au front quelques heures auparavant : "je suis sans abri, vulnérable, une proie facile".

Cette expérience, même racontée avec force détails, doit se vivre pour se comprendre. Quelle connivance j'ai ressenti en voyant sur mon écran d'ordinateur l'initiative des Enfants de Don Quichotte. Ils avaient tout compris : il fallait le vivre pour le croire.

43 ans d'espérence de vie. 86 000 selon l'Inserm, 400 000 selon la fondation l'Abbée Pierre, 3,2 millions de mal logés selon la même organisation.

Ce sont des chiffres, des statistiques.

Un mort de froid à Paris le mardi 19 décembre, avant la déclaration du niveau 2 du plan grand froid.

Quand je frissonne au souvenir de cette expérience, vécue en septembre, j'ai peine à imaginer la cruauté du traitement dans les conditions climatiques actuelles. Nous gardons nos animaux de compagnie au chaud, quand nos "frères meurent sous les ponts et que tout le monde s'en fout" (IAM).

De cela, je pourrais m'accomoder, s'il s'agissait d'une fatalité inévitable. Mais du cynisme de Nicolas Sarkozy qui prétend qu'après 5 ans au pouvoir il n'y aura plus de SDF (alors que le maire de Neuilly préférait payer des amendes plutôt que de construire son quotat de logements sociaux), de celui de la ministre de la cohésion sociale Catherine Vautrin (qui condamne cette intitiative "leurre face au problème de l'exclusion sociale", "c'est touchant mais c'est facile" face à la révolte du Don Quichotte de Terry Gilliam Jean Rochefort, et "J'ai dit hier qu'il y avait une instrumentalisation de ces personnes qui sont en difficulté") je n'en peux plus.

L'intolérable a ses limites.

48% des français pensent pouvoir devenir un jour SDF.

Arrêtez tout deux minutes : Ségo et Sarko, Armadinejad et Kim Jong Il, les 300 millions au Japon et le trou de la sécu, Johnny en Suisse et Katie Holmes enceinte, la pubalgie de Ribery et le Ballon de plomb de Mendy, "le biberon du bébé, le babysitter qui vient demain, la bouffe, le loyer, la banque à rembourser" (Tryo), vos emplettes de fin d'année, vos exams, et réveillez vous.

Il n'y a pas de vision politique sans volonté du peuple.