agir-et-reagir

15.11.07

Première analyse de la LRU

La loi Pécresse répond à un diagnostique sérieux : l’enseignement supérieur est inégalitaire, inefficient, et a tendance à freiner la mobilité sociale plutôt que de la favoriser.

Cependant ses leviers d’actions auront des conséquences graves, qui risquent de ternir tant ses bénéfices que son bilan sera finalement négatif.

1 Sur la sélection
2 Sur la professionnalisation
3 Sur la mobilité sociale
4 Sur l'aspect économique et politique de la loi LRU
5 Sur la coopération



1 Sur la sélection :

Avant tout il faut couper court à la rumeur selon laquelle il n'y a pas de sélection en université avant le bac plus 5. La sélection existe en Fac. Pas au moment de l'inscription, mais au moment des examens sanctionnant le travail de l'année.

En Droit, à Aix c'est :
30% de réussite en première année.
50% en deuxième.
50% en troisième.

Dans certaines filières saturées, comme en Anglais, le taux de réussite en première année est de 10%. Il est quasiment impossible à un élève qui n'est pas déjà bilingue en arrivant de s'extraire de cette sélection aveugle. Des formations par correspondance type celles organisées par la Sorbonne sont des voies de garage, volontairement plus exigeantes, d'où s'extraient uniquement les profils exceptionnels.

On ne peut pas se plaindre à la fois que des jeunes soient sélectionnés à la Fac ET que 20% sortent de l'université sans diplôme.

Ensuite « l'absence de sélection à l’entrée » permet de changer de faculté quasi librement. La Sorbonne et Assas demandent de passer en commission pour pouvoir s'inscrire après un cursus dans une autre faculté. Même venant des facs d'Aix ou de Lyon.



2 Sur la professionnalisation :

Premier point : la difficulté à se réorienter. Après trois ans de Droit, j’ai cherché à intégrer une filière éco, qui m’attirait d’avantage. Je devais pour cela entrer en deuxième année de DEUG, plutôt que de m’inscrire en BAC+4 en Droit. Bref, une perte sèche de deux ans d’études. Plus de mes bourses. Le coût marginal d’un étudiant est pourtant dérisoire, et je n’aurais eu aucun diplôme que je n’aurais pas réussi en fin d’année.

Deuxième point : la pénurie de postes en filière professionnalisantes (essentiellement BTS, IUT, Ecoles d’Ingénieurs publiques, IAE, DESS).

On ne peut pas laisser un système de BTS et IUT hyper efficace avec si peu de place et se plaindre du manque de professionnalisation des filières. Tripler les places en IUT et BTS serait plus cher mais toutes les places seraient prises et la formation serait celle attendue par les entreprises (auxquelles un profil de cadre IUT + Ecole ou DESS se vend souvent mieux qu'un profil Prépa + Ecole ou DESS).

Les IUT, ce ne sont pas des facs, mais c'est l'université.

Du point de vue des alternatives aux écoles, les écoles d'Ingé Polytech' et les quasi écoles de commerce IAE donnent une formation excellente et orientée entreprise (on notera aussi l’excellent Institut de la Communication et des Médias de Grenoble). Leur succès est croissant.
5 milliard d'euros par an est ridicule par rapport au retard pris. Cette réforme est complètement sous dotée. Il ne faut pas essayer de faire du BTS ou de l'IUT en Fac avec des amphis de 700 personnes, car ça ne marchera pas. D’ailleurs les « Licences-Pro » sont bien plus proches des IUT que des licences en facultés.

A l'inverse, en faculté l'étudiant jouit d'un certain anonymat appréciable après 15 ans en école, collège et lycée où notre réputation sert autant pour nous noter que nos travaux, et d’une certaine tranquillité qui lui permet de passer des années à s’ouvrir au monde comme il le veut.
De plus, plutôt que de laisser mourir à petit feu les Facs de Lettres qui ne trouveront pas d'entreprises pour se financer, et qui diminueront la qualité de leurs enseignements en même temps que le nombre de leurs étudiants, il vaudrait mieux proposer aux étudiants des alternatives plus facilement orientables. La solution, c'est d’abord la taille humaine des BTS-IUT, leur haut niveau d'exigence, leur contrôle continu, et leur orientation. Il faut absolument au moins doubler leurs moyens et communiquer intensivement en lycée sur leurs avantages.


3 Sur la mobilité sociale :

Effectivement il y a un vrai problème de mobilité sociale en France. Il ne faut pas oublier la frilosité pathologique des entreprises à l'égard des jeunes, des vieux, de ceux qui ont fait la fac, de ceux qui ont pas fait l'Ecole de Commerce la plus renommée, de ceux qui ont fait autre chose, des polyvalents, de ceux qui n'ont pas le nez dans le guidon, de ceux qui sont moches ou qui n'ont pas l'air "comme il faut" (première source de discrimination en France)... Tout ça pour un stage ou un contrat précaire. Les offres de stages sont pourvues sous condition d'expériences et de diplômes déjà validés. La dégradation de l'image de l'entreprise est démotivante. C’est par une politique de responsabilité sociale que nous ferons tomber ces œillères.

Nous avons des dizaines de milliers d'offres d'emploi non satisfaites. En face des millions de chômeurs reconnus comme tels ou évacués des statistiques officielles (étudiants qui font durer le plaisir pour ne pas se retrouver désœuvrés et sans bourse ni RMI, en formations, en recherche d'un temps partiel, en recherche d'un CDI, disponibles à la fin de leur préavis... plus toutes les entourloupes qui alarment les statistiques officielles de l'UE depuis Jospin : premières radiations massives, premières campagnes de désincitation à se présenter aux agences.

La balle est dans le camp des entreprises, qui doivent de nouveau accepter la prise de risque, leur part de formation "sur le tas", et leur rôle de mobilité sociale dans une société qui se veut plus méritocratique.

Les entreprises sont faites d’hommes, qui favorisent le népotisme, la cooptation ou privilégient les filières les plus sélectives (quoique la sélection se fasse surtout au regard de la taille du portefeuille en école de commerce, pour une formation très proche des IAE ou des écoles moins cotées). C’est donc une question sociale qui se traduit économiquement.


4 Sur l'aspect économique et politique de la loi LRU :

Nous avons déjà dit pourquoi 5 milliards d'euros sont insuffisants. Cette loi, à l'instar de la décentralisation Raffarin, a pour but de désengager l'Etat de ses obligations de financement direct, donc comptabilisé dans les normes du pacte de stabilité économique de l'UE.

Cependant, les entreprises ne seront pas du jour au lendemain disposées, par patriotisme, à payer la formation des étudiants sans contreparties. Certaines de ces contreparties seront raisonnables et positives, amélioreront l'employabilité, mais d'autres seront moins légitimes. Veut-on une université aussi docile que le sont les médias vis à vis de leurs annonceurs? Aurais-je pu écrire un mémoire critique sur la loi DADVSI ou sur les dérives de l’UE à la veille du traité constitutionnel européen, si mon directeur avait craint de perdre ses financements ou si le doyen l'avait rappelé à l'ordre?

Par ailleurs, ce financement, les entreprises iront le prendre quelque part. Ce quelque part ne sera pas les dividendes de leurs actionnaires, mais les poches des consommateurs. La décentralisation a conduit à des taux de prélèvements obligatoires records, la loi sur la réforme des universités érodera encore d'avantage le pouvoir d'achat.

Les entreprises préfèrent aujourd'hui payer leur taxe d'apprentissage à l'Etat plutôt qu'à un organisme de formation dont elles pourraient exiger plusieurs stagiaires. C'est absurde mais révélateur de leur indifférence au problème de la formation.

Les Facultés ont encore le montant de leurs inscriptions fixé par décret, mais un décret se modifie du jour au lendemain par l'exécutif. C'est aussi le cas pour les franchises. En l’absence de la moindre garantie, nous pourrions avoir de drôles de surprises.



5 Sur la coopération

Si certaines querelles de clochers rouillent les mécanismes de collaboration interuniversitaire, l’introduction d’une concurrence entre les universités (qui sera féroce surtout dans la phase de réduction du nombre des universités) risque d’aggraver cette pente. La concurrence peut potentiellement conduire au résultat inverse, dans l’hypothèse où il bénéficiera indirectement des efforts faits pour séduire les financiers, et son excellence sera elle-même un argument (parmi d’autres) en ce sens.

Par ailleurs depuis la « nouvelle approche européenne », ce sont les entreprises qui doivent faire les études scientifiques démontrant que leurs produits ne sont pas néfastes. Jusqu’à présent, les laboratoires universitaires contrôlaient les résultats pour s’assurer de leur sincérité, mais il sera difficile de croire aux conclusions sur les OGM de Monsanto et des labos universitaires financés directement par cette entreprise.



Conclusion :

L’Université ne se relèvera pas seule : les filières des Facultés servent aujourd’hui d’expédient pour éviter le chômage, la précarité, l’impossibilité de se voir donner sa chance par une entreprise. Ce ne sont certes pas leurs fonctions, et seul un investissement dans les cursus BTS-IUT, ou proto Ecoles d’Ingénieurs ou de Commerce permettra de fournir au marché du travail des diplômés opérationnels, et de canaliser les étudiants vers des métiers porteurs.

Ceci nécessitera des investissements conséquents et une évolution des mentalités de l’entreprise qui ne sont pas garantis par la loi du 10 août 2007, dite loi Pecresse. Cette loi ne sera qu’un emplâtre sur une jambe de bois, et n’aura pour seul mérite que de réduire les dépenses publiques et d’assécher les fonds des facultés de Lettres et de Sciences Sociales sans résoudre les problèmes de leurs étudiants.

Une intervention de l’Etat était nécessaire. Face à l’échec économique et social de l’enseignement supérieur, l’approche choisie a été de laisser les entreprises tenir les Université « par la bourse » pour leur faire d’avantage prendre en compte les demandes du Marché. Les bienfaits de cette réforme de « privatisation partielle » sont réels, mais auraient également pu être résolus autrement et avec des conséquences négatives bien moindres.

Images : Deux facultés d'Aix-en-Provence séparées par une simple barrière depuis 1968 :

La Faculté de Droit, avec ses intérieurs marbre et verre, sa cour intérieure avec fontaine sculptée, ses colonnes, sa roseraie.

La Faculté de Lettres, qui ressemble à une énorme barre HLM entourée de grillages en corolle
pour éviter que les chûtes des revetements des murs ne causent de blessures graves.

Depuis peu, la Faculté de Droit est équipée d'Algerco climatisés (!) pour les TD. Mais n'a toujours pas renoncé à son traiteur préféré : la Truffe Noire.

13.11.07

Le Mirail bloqué, l’Université de l’Arsenal vote la grève



L'Université Toulousaine du Mirail a été ces dernières années une des facultés le plus vite et le plus fréquemment bloquée. La mobilisation contre la loi Pecresse n'a pas fait exception. Pourtant l'UT1 dite de "l’Arsenal", plus discrète, tenait ce mardi 13 novembre sa troisième assemblée générale. 350 étudiants se sont réunis de 12h30 à 14h10 pour discuter de la loi sur la réforme de l’université de sciences sociales et de droit, et soumettre au vote la reconnaissance ou par l’AG de la grève contre cette réforme.

A l’entrée de la Faculté, des vigiles privés contrôlaient les cartes d’identité des étudiants qui se présentaient, refusant les étudiants de l’Institut d’Etudes Politiques dont les locaux se trouvent pourtant de l’autre côté de la rue, et de l’Institut Universitaire de Technologie, et qui tous deux dépendent de l’Université des Sciences sociales. Habillé en costume-cravate et m’étant présenté par une entrée secondaire, les vigiles n’ont même pas jugé nécessaire de vérifier mon appartenance à l’Université ou mon identité.

Dans une atmosphère relativement sereine, et très au dessus des standards de respect généralement observés dans les AG de facultés de Lettres ou de personnels administratifs, s’est déroulé un débat contradictoire entre partisans de la grève et leurs opposants.

Les questions et interventions avaient un air de « déjà-vu » pour qui a assisté aux mobilisations anti-CPE. Peu de remise en cause du mouvement contre la loi LRU sur le fond, mais beaucoup de questions sur la légitimité de l’AG, ou de la signification de son vote. Il fut dit que les AG étaient trop peu représentatives en nombre, 350 personnes étant présentes sur les 17 000 étudiants. A quoi il fut répondu que tous pouvaient venir faire entendre leur voix et son vote et que la petitesse, réelle, de l’amphi limitait les capacités d’accueil. Par ailleurs, le Bureau clamait sa bonne foi en expliquant que les AG précédentes n’avaient pas abouti à un vote de la grève, justement pour cette volonté de légitimité. Le classique « essayons la LRU et voyons » n’a pas convaincu l’assemblée, il est vrai majoritairement opposée à la loi Pécresse. Le débat à raté la question de savoir ce que l’orientation de l’Université vers l’entreprise, voire même une privatisation partielle, pourrait apporter aux étudiants, et quels étaient les vrais inconvénients de cette réforme. Faute d’avoir assumé l’orientation libérale du texte, les anti-grévistes, hors sujet, n’ont rien apporté au débat alors qu’ils n’auraient pas manqué d’arguments.

Notons néanmoins que le blocage ou non de la faculté n’étant pas à l’ordre du jour, c’est une AG apaisée qui a été menée à terme, et que les radicaux des deux camps se tournaient plus en ridicule qu’autre chose. Deux étudiantes portant le foulard rouge d’un BDE se demandaient même à quoi servait cette mobilisation puisque les locaux n’étaient pas occupés. A la sortie de l’amphi, elles n’en animaient pas moins une table d’anti grévistes en détournant des chansons populaires. L’enjeu comptait plus que le jeu, et l’enjeu étant moindre, les passions et l’affluence étaient retombées. Une fois la grève validée (majorité écrasante pour la grève, une petite dizaine contre, votes "abstentions" et "ne participe pas au vote" marginaux), c’est un amphi nettement vidé qui a débattu des mandats à accorder aux représentants près la coordination nationale et des prérogatives du « comité de grève » en charge des actions.

Les deux représentantes choisies pour la coordination sont toutes les deux syndiquées. Je me tournai alors vers mes voisins :
- Vous avez besoin des syndicats pour vous représenter ?
- Il n’y a qu’eux qui se sont présentés de toute façon.
- Et pourquoi pas toi, ou ta voisine ?
- Nous on ne peut pas. On a trop de travail, et puis ça coûterait trop cher d’aller à Tours.

Retour à la réalité. Quelle marge y a-t-il en France pour une représentation hors des partis ou des syndicats établis ? Combien de portes restent-elles fermées si on n’a pas le sésame politique qui débloque les fonds ?

Les participants des deux bords ne réalisent pas que les AG spontanées peuvent être le point de départ de la réappropriation durable de la réflexion et l’expression politique. Les universités se bloquent et se libèrent de la même façon : le mot d’ordre est d’oublier le fond et de mobiliser le plus intensément possible. Bizarrement ce sont précisément ces AG qui « ne servent à rien » qui sont en réalité les plus fécondes, parce qu’on a l’occasion de ne pas parler de la grève (ou non) ou du (dé)blocage, mais du sujet du débat.

L’AG est trop souvent l’affrontement de deux blocs préconstitués et au jeu de la mobilisation, l’intérêt des étudiants passe au second rang. Il ne reste que deux plus values démocratiques : parfois quelques masquent tombent et le cynisme des leaders se dévoile. Parfois quelques rencontres se font et des associations naissent, loin de l’UNI et de l’UNEF…
Crédit Image :
Eric Cabanis AFP/Archives ¦ Plus d'un millier d'étudiants de l'université Toulouse-Le Mirail manifestent dans les rues de Toulouse, le 8 novembre 2007.

8.11.07

La gestation pour autrui légalisée ?

http://www.naturavox.fr/article.php3?id_article=2456